EN index  



river index






Nous avons entendu pour la première fois le son de la rivière Mitis lorsqu’elle frappe le littoral.

Cela nous rappelle que “l’eau nous attire : les rivières, les étangs, les pluies torrentielles, les côtes – même les flaques – possèdent un charisme sensuel indéniable.”                              
1
  

L’élément et les forces de l’eau qui frappent le rivage sont une invitation à se joindre et à écouter. L’écoute saisit “l’intimité entre être et suivre : être (n’importe quoi, n’importe qui) c’est toujours suivre (quelque chose, quelqu’un), c’est toujours répondre à l’appel de quelque chose, aussi non humaine cette chose puisse être” 
2


















 
Suivre cet appel, c’est être instantanément lié par une relation.

Là où une rivière et un fleuve se rencontrent : un appel à s’y rassembler.
Les peupliers : un appel à parler de la rivière.
Le saumon migrateur : un appel à bouger avec la rivière.
La collecte de plastiques : un appel à observer la rivière.
Le rivage d’artéfacts mis à nu : un appel à se souvenir avec la rivière.


Marie-Ellen, Jia, et Hannah:
“Ce sont les invitations initiales que nous a faites la rivière Mitis, à nous qui la visitions pour la première fois dans le Bas-Saint-Laurent, au Québec. Trois étudiants et étudiantes à la maîtrise, issues de la colonisation de ce territoire, effectuant des recherches aux noms du Centre Canadien d’Architecture et des Jardins de Métis.”

En travaillant au sein, entre et autour de deux institutions coloniales, nous avons suivi les courants fluides d’une rivière qui confronte, relie et transforme deux rivages bien ancrés. Lieu de rassemblement traditionnel pour les communautés Mi’gmaq et Wolastoqiyik, ces courants sont des forces propices à la rencontre, ils transportent des gens, du poisson, des sédiments, des mots et des récits, et les mettent en relation.
Pour suivre ces mouvements sans limites, la rivière Mitis résiste à la notion coloniale du lieu comme un objet statique, mais devient la substance qui constitue et permet la rencontre. 

Suivre cette rivière comme un lieu d’étude, rassembler et partager ses impressions, ses matières et ses récits, permet de résister à l’objectification et de mener des recherches à propos de ces rencontres et pour celles-ci.

Ce contenu qui défile est quelque chose comme une extension de la rivière Mitis, fait de récits et de relations dans lesquelles nous avons été liées. En répondant aux invitations initiales de la rivière, les récits qui ont attiré nos yeux, nos oreilles, nos mains et nos esprits se sont transformés en une réflexion plus large sur les manières dont la rivière invite, en mettant en relation les êtres humains, les êtres non humains et les matières.


En rassemblant les différentes histoires, nous commençons à comprendre la manière dont certaines relations se sont nouées, ont été dépossédées et maintenues.


Entre collages de voix diverses et récits plus linéaires, ce contenu qui défile suit différents courants, laissant des écarts pour la contemplation et les récits incomplets. En identifiant les gens en vert, les lieux, les noms, les choses et les idées en bleu, ce défilement est fait pour rassembler les personnes, les lieux et les idées qui ont façonné la rivière Mitis.
  

Cette recherche est une invitation en soi. Suivre cet appel, c’est être lié par une relation.




STRATE DE L’INDEX RASSEMBLEMENT

 
1 « Comment appelle-t-on cet endroit? », toile pour un dessin collectif produit lors d’un événement d’engagement communautaire à l’embouchure de la rivière Mitis.











    
                                              
                    













2
Rassemblement à l’embouchure de la rivière. Hannah Thiessen.
Les courants du fleuve et de la rivière coulent l’un vers l’autre. Les eaux salées se mêlent aux eaux douces qui ruissellent à partir d’une série de lacs située plus loin à l’intérieur des terres. La rencontre de ces flots forme parfois de forts courants de marée, des forces agissant avec, contre et autour de ceux-ci.

 Ces courants transportent des récits poissonneux, sablonneux, obscurs et familiers : toutes sortes de matières condensées à travers ce canal.Les berges situées de part et d’autre de l’embouchure permettent des points de vue clairs et ouverts sur les deux affluents, l’un qui mène à un passage plus intime vers la Baie-des-Chaleurs et l’autre qui suit l’étendue du fleuve Saint-Laurent jusqu’à l’océan Atlantique.



On ne sait pas très bien où se termine un cours d’eau et où l’autre commence, mais ce chevauchement crée une circonstance favorable pour que l’eau et la topographie suscitent des rencontres singulières entre les gens, les poissons, la végétation et toutes leurs histoires combinées.
Il existe une hypothèse voulant que le nom « Mitis » vienne du mot « Mitoui » qui fait référence à un « lieu de rencontre » en Wolastoqey et en Mi’gmaq. On ne sait pas si Mitis désigne ce lieu de rencontre en particulier, puisque le nom a été arbitrairement réattribué à ce que l’on nomme aujourd’hui la rivière Rimouski dans un processus colonial d’octroi des droits seigneuriaux. 3

Là où la rivière et le fleuve se rencontrent. Hannah Thiessen. Le point de rencontre de ces deux cours d’eau a toujours été un espace de partage. L’embouchure de la rivière Mitis est un lieu de rassemblement traditionnel pour les peuples Mi’gmaq et Wolastoqiyik qui venaient ici durant les mois d’été pour se rencontrer, pêcher et échanger.

Arrêt incontournable le long de deux passages des eaux, l’un connecté à l’océan Atlantique, et l’autre se dirigeant vers le sud jusqu’à la Baie-des-Chaleurs et éventuellement jusqu’à Wolastoq (aussi connue sous le nom de fleuve Saint-Jean), ces berges étaient des points de repos, de pêche et d’échange de biens et d’histoires pour les communautés Mi’gmaq et Wolastoqiyik qui, au fil des saisons, dépendaient d’un vaste réseau de bassins versants.

Les berges élevées permettaient des points de vue sur le passage des deux affluents, et lorsque submergées sous l’eau, servaient de couloir idéal pour attraper le saumon de l’Atlantique, l’anguille d’Amérique et bar rayée destinés à l’alimentation et aux cérémonies. 4

Aujourd’hui, l’embouchure de la rivière est toujours située sur des territoires qui se chevauchent.

                    4Une partie des territoires Wolastoqiyik et Mi’gmaq, où l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey dirige leurs programmes de pêche et d’activités maritimes. Atlas de l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey (AGHAMM).
5
Le ji’gaw (mi’gmaq), nokahkehke (wolastoqey), striped bass (anglais), Bar rayé (français) se déplace des eaux douces, jusqu’aux eaux saumâtres, puis aux eaux salées du Saint-Laurent et de l’Atlantique à mesure qu’il vieillit.  





6

Kataq (Mi’gmaq), sakapsqehtom (Wolastoqey), American eel (anglais), anguille (français).
Les eaux plus salées de l’Atlantique et les eaux douces du (des) lac(s) Mitis se mélangent afin de générer un estuaire, un écosystème particulièrement unique pour la vie aquatique. Comme divers poissons, notamment le saumon de l’Atlantique et l’anguille d’Amérique, dépendent d’une série de conditions aquatiques différentes tout au long de leur cycle de vie, la rencontre de ces deux cours d’eau orchestre également un rassemblement d’individus non humains dans ces régions ; se rassembler ici n’est pas une occasion réservée strictement aux êtres humains.

Les propos de l’anthropologue métisse et philosophe du poisson Zoe Todd dans son essai Refracting the State through Human-Fish Relations nous aident à redéfinir la rivière Mitis non seulement comme un habitat écologique, mais comme un monde social, juridique et spirituel en soi. Ces rassemblements, ou « habitats et écosystèmes se comprennent mieux comme des sociétés lorsque l’on adopte un point de vue autochtone : c’est-à-dire qu’ils possèdent des structures éthiques, des traités et des ententes interespèces… les êtres non humains sont des membres actifs de la société. »
5



jplamu
(mi’gmaq),
polam (wolastoqey), Atlantic salmon (anglais), Saumon atlantique
(français) voyage sur une longue distance à travers l’océan Atlantique durant ses années juvéniles et adultes. On l’attrape pour se nourrir, à des fins médicales, pour l’artisanat, le commerce et les cérémonies. Le saumon est profondément ancré dans les modes de vie, les cultures et les spiritualités mi’gmaq et wolastoqiyik.

Comprendre ces relations entre les gens, les poissons et l’habitat de la rivière Mitis non seulement comme des écosystèmes, mais aussi comme des sociétés, nous permet d’envisager le rassemblement comme un acte de perturbation des notions coloniales de territoire et de propriété. Prendre part à ces relations et les affirmer demande un processus que Zoe Todd appelle « réfraction » dans lequel les peuples autochtones naviguent à travers « l’interface complexe et dynamique qui se situe entre les ordres juridiques autochtones et l’État ». 5 Les façons dont les communautés wolastoqiyik et mi’gmaq entrent en relation avec les écologies complexes de la rivière peuvent être reconnues comme un acte de subversion envers les ordres juridiques coloniaux.


9
Des ententes signées entre la nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécite de Viger) et le gouvernement du Québec ont accordé à la nation des droits de pêche communautaires pour attraper le saumon à un endroit précis sur la rivière Mitis, à partir des pièges gérés par la ZEC locale situés à la base du barrage Mitis-2 à environ 1 kilomètre de l’embouchure de la rivière.

Nous constatons parfois que l’eau de la rivière Mitis se « réfracte », bravant et dispersant continuellement la notion terrestre, statique et limitée, du territoire, qui étaye les lignes de démarcation coloniales seigneuriales et contemporaines.

.

Cecilia Chen, Janine MacLeod, et Astrida Neimanis 
dans leur livre Thinking with Water :

« Contrairement à réfléchir avec le territoire, réfléchir avec l’eau demande de déterritorialiser la façon dont nous comprenons l’endroit où nous vivons et de prendre en considération les relations courantes que nous entretenons avec les autres – que ces relations nous lient à d’autres lieux, à d’autres êtres ou à d’autres événements et espaces-temps. » 1


Les courants de la rivière Mitis recouvrent la carte de la région de Grand-Métis. Marie-Ellen Houde-Hostland..
10












11

Carte des fosses à saumons par Lady Aileen Roberts réalisée en 1923. Collection des Amis des Jardins de Métis.

 
Les fosses servant à la pêche – une série de formations rocheuses et de courants aquatiques permettant aux saumons de se regrouper alors qu’ils remontent la rivière – sont parfois assignées à un propriétaire, mais les traits bleus plus libres suggèrent que Lady Aileen Roberts avait compris, du moins intuitivement, que la rivière Mitis, ses eaux et ses saumons, résistent à la propriété ou au confinement.

Carte de la seigneurie de Mitis de 1700 à 1850. Le régime seigneurial est né d’un effort fait pour attirer des colons dans la région; il représente la façon dont le rassemblement lui-même n’est pas un acte neutre, mais façonne le paysage sur la base de vecteurs de pouvoir, de contrôle et de domination qui traduisent ces frontières abstraites en barrières juridiques, infrastructurelles et économiques concrètes pour la rivière Mitis.





12





Les idées coloniales de territoire et de propriété ont été imposées à un paysage qui n’est pas soumis à des frontières strictes. De façon similaire, le mot « nomadisme » est souvent utilisé pour justifier que les peuples autochtones n’ont pas le sentiment d’exercer un contrôle exclusif sur un territoire donné. Il est ainsi utilisé par les puissances coloniales pour refuser des droits et des titres de propriété sur un territoire. 6 13 L’entrepreneur local Jules Brillant, directeur de la Compagnie de Pouvoir du Bas-Saint-Laurent, a acheté la portion inférieure de la rivière Mitis à Elsie Reford, créatrice des Jardins de Métis, en 1942 afin de construire un deuxième barrage sur la rivière, Mitis-2, qui a agi comme un obstacle physique à la rivière et à la migration à contre-courant du saumon. 7


L’embouchure de la rivière Mitis continue pourtant d’être un lieu défini par le rassemblement de différents peuples, bien qu’il ait été détenu et géré par la famille Reford et aujourd’hui par les Jardins de Métis.


















Cabine de pêche à l’embouchure de la rivière Mitis. Hannah Thiessen.

14


15 ‘Foule à l’embouchure’. Comité du patrimoine de Price.




16
Pêche récréative à l’embouchure de la rivière. Hannah Thiessen.











Cecilia Chen,  Janine MacLeod, et Astrida Neimanis poursuivent:
Comprendre les eaux dans leur contexte nous aide à considérer les eaux et les lieux comme des phénomènes transformateurs qui se modifient mutuellement. Ce n’est pas que les lieux contiennent les eaux : la particularité des eaux situées qui s’articulent avec les lieux, avec l’espace et le temps, avec des entités dynamiques, et dans des contextes matériels et sémantiques, peut permettre une discussion plus réfléchie sur les relations entre les eaux. » ermettre une discussion plus réfléchie sur les relations entre les eaux. »  1




Pour rassembler – réunir, recueillir

Pour se rassembler.

Pour recueillir des récits, des objets, des noms et des perspectives d’un lieu.









18Research is Ceremony: Indigenous Research Methods by Shawn Wilson


17 Un rassemblement que nous avons tenu aux Jardins de Métis pour partager des récits à propos de la rivière Mitis.  










Shawn Wilson:

« Les concepts ou les idées ne sont pas aussi importants que les relations qui les ont formés. » 8



La rivière Mitis puisqu’elle rassemble des courants, des personnes et des récits, s’apparente au processus de recherche ; suivre ces courants devient une invitation en soi.

Références pour la section Rassemblement : 

1 Chen, Cecilia, Janine MacLeod et Astrida Neimanis, éd., Thinking with water. Montréal et Kingston, Les Presses de l’Université McGill, 2013. [Traduction libre]
      
2 Jane Bennett, Vibrant Matter: a Political Ecology of Things, Durham, Duke University Press, 2010.

3 Heritage Bas-Saint-Laurent, « Meet the Indigenous Peoples of the Métis-Sur-Mer Area », Heritage Bas-Saint-Laurent, consulté le 22 août 2023.
https://heritagelsl.ca/meet-the-indigenous-peoples-of-the-metis-sur-mer-area/.

4 Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey, « Pêche communautaire de subsistance : le saumon de l’Atlantique », Atlas des sites et usages Mi’gmaqs et Malécites du Saint-Laurent marin, n.d.

5 Zoe Todd, « Refracting the State Through Human-Fish Relations Fishing, Indigenous Legal Orders and Colonialism in North/Western Canada », Decolonization: Indigeneity, Education & Society, vol. 7, no 1 (31 août 2018), p. 60–75. [Traduction libre]

6 Gespe’gewa’gi Mi’gmawei Mawiomi, Nta’tugwaqanminen Our Story: Evolution of the Gespe’gewa’gi Mi’gmaq, Halifax, Nouvelle-Écosse, Fernwood Publishing, 2016. [Traduction libre]

7 Jardins de Métis, « Histoires de pêche : les barrages hydroélectriques », histoires de chez nous, 2016, https://www.histoiresdecheznous.ca/v2/histoire-de-peche_fish-stories/histoires/registre-de-peche-de-de-robert-w-reford-il-contient-ses-exploits-sur-la-riviere-mitis-ainsi-que-celles-de-ses-fils/

8 Shawn Wilson, Research is Ceremony: Indigenous Research Methods, Halifax, Nouvelle-Écosse, Fernwood Publishing, 2008. [Traduction libre]



Liste des images pour la section Rassemblement :

1. « Comment appelle-t-on cet endroit », toile pour un dessin collectif produit lors d’un événement communautaire à l’embouchure de la rivière Mitis.

2. Hannah Thiessen, Rassemblement à l’embouchure de la rivière, image, 2023.

3. Hannah Thiessen, Là où la rivière et le fleuve se rencontrent, image, 2023.

4. Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey, « Pêche communautaire de subsistance : le saumon de l’Atlantique », Atlas des sites et usages Mi’gmaqs et Malécites du Saint-Laurent Marin des communautés de Gesgapegiag, Gespeg et Wahsipekuk (Viger), capture d’écran, 2019, https://atlas.aghamw.ca/

5. Alexander Reford, Alexander parle sur les berges de la rivière Mitis, 25 juin 2023.

6. Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey, « Pêche communautaire de subsistance : le saumon de l’Atlantique », Atlas des sites et usages Mi’gmaqs et Malécites du Saint-Laurent Marin, n.d.

7. Marie-Ellen Houde-Hostland, Les courants de la rivière Mitis recouvrent la carte de la région de Grand-Métis, juillet 2023.

8. Lady Aileen Roberts, Plan de la rivière Mitis, 1923, collection des Amis des Jardins de Métis.

9. D. S. Ballantyne, Esquisse d’une terre appartenant à Mr. McNider, carte, 1829, collection des Amis des Jardins de Métis.

10. Les Amis des Jardins de Métis.

11. Hannah Thiessen, Cabine de pêche à l’embouchure de la rivière Mitis, image, 2023.

12. Comité du patrimoine de Price, « Foule à l’embouchure », 1920-1980.

13. Hannah Thiessen, Pêche récréative à l’embouchure de la rivière, 29 juin 2023.

14. Hannah Thiessen, Rassemblement que nous avons tenu aux Jardins de Métis afin de partager des récits autour de la rivière Mitis, 29 juin 2023.

15. Shawn Wilson, Research is Ceremony: Indigenous Research Methods, Halifax, Nouvelle-Écosse, Fernwood Publishing, 2008.









Mouvement 1
Un lac.
Trois lacs.


Lac aux anguilles. Lac de la Croix. Grand Lac Métis. Trois lacs qui se jettent l’un dans l’autre avant d’alimenter la rivière Mitis ont été cartographiés par Thomas Breen en 1870. Lorsque le gouverneur général de la Nouvelle-France, Louis Buade de Frontenac, a créé une concession seigneuriale en 1693 pour Louis Rouer, le jeune fils d’Augustin Rouer de la Cardonnière, celle-ci référait à un lac nommé « Mitis » qui s’écoulait dans une rivière du même nom. Il n’y a pas eu de tentative d’exploitation des lacs et de la forêt environnante jusqu’à ce que la Price Brothers Company acquière la concession seigneuriale en 1922 pour son entreprise de bois et de papier. Lors de la délimitation de leur terre, le gouvernement fédéral a exprimé un désaccord avec la Price Brothers sur le libellé de la concession initiale. Le premier croyait que cela référait à l’un des trois lacs, alors que le second pensait que cela référait à l’ensemble des lacs. 9  Au cours de l’affaire judiciaire entre le roi et la Price Bros & Co. Ltd. en 1925, les frères Price ont utilisé une série de cartes historiques datant de 1765 à 1863 qui représente les trois lacs comme un seul lac serpentin afin de démontrer que Frontenac ne savait pas qu’il y avait trois lacs en créant la concession en 1693 (page 44, image 31). Il a plutôt concédé à Louis Rouer les trois lacs en pensant qu’il ne s’agissait que d’un seul. Lorsque la Price Brothers eut terminé de construire le barrage à la source de la rivière Mitis pour le passage des rondins, le niveau de la rivière a monté et les trois lacs se sont reformés en un seul. En évoquant le passé il a refait surface. Un barrage de béton a éventuellement remplacé le barrage de bois massif des frères Price. Ce nouveau barrage aidait à retenir l’eau provenant des deux centrales hydroélectriques en aval : Mitis-1 et Mitis-2. Ces centrales n’ont toutefois pas produit d’énergie depuis 2018. Le barrage servant à la rétention des eaux reste là sans utilité.
Il tombe en ruines. 10





Assis à la cartothèque de l’Université du Québec à Rimouski, derrière de gros stéréoscopes, nous avons écouté la cartographe Kati Brown nous raconter avec enthousiasme l’histoire du lac Métis. Elle y pêche presque tous les ans et nous a raconté avoir hâte d’y retourner la semaine suivante pour séjourner dans l’un des chalets sur le lac qui sont disponibles pour des locations à court terme. Du jeune propriétaire Louis Rouer, qui n’a jamais eu la chance de vieillir, en passant par les astucieux frères Price, jusqu’à la société Solifor, le propriétaire actuel, nous avons lentement reconstitué la longue série d’échanges de propriétaires et les transformations du lac qui autrefois en comptait trois. À la fin de son récit, Kati a ri et a dit :

« Vous savez, il se peut qu’éventuellement le barrage soit retiré. Ce faisant, il y aura à nouveau trois lacs. Les chalets sur le lac ne donneront plus vraiment sur le lac. »

19 Cartothèque de l’Université du Québec à Rimouski. Hannah Thiessen.









STRATE DE L’INDEX NOMMER















Comment appelle-t-on ce lieu ?









Métis (et par conséquent, Mitis) pourrait venir
du mot Mitisk qui signifie petit bouleau pour les
Mi’gmaq ou petit peuplier pour les Wolastoqiyik. Ces
arbres bordent la rivière Mitis.


L’autre origine possible proviendrait du mot mi’gmaq
metioui ou mitiwee qui signifie « lieu de rencontre »,
en référence aux rassemblements des Mi’gmaq, des
Wolastoqiyik et des colons. 11



21
« La Pointe ». Là où la rivière et le fleuve
se rencontrent. Hannah Thiessen.

Le mot fleuve ne se traduit pas directement en anglais. Un fleuve peut être défini comme une grande rivière qui mène à la mer, mais à Métis-sur-Mer on le décrit à partir d’un lien personnel et d’une intuition sentimentale.




« Nous étions curieuses de savoir ce que le fleuve signifie pour vous et comment vous le traduiriez en anglais. »

Mario Bélanger:
« Eh bien le fleuve est plus grand qu’une rivière, c’est ce que nous disons, vous savez. Le fleuve est comme une grosse rivière. Mais, lorsque nous étions enfants, et plusieurs personnes le disent encore aujourd’hui, nous disions on va à la mer. On ne disait pas on va au Saint-Laurent ou au fleuve ou à la rivière. On disait à la mer. La mer c’est comme l’océan. » 

« Pensez-vous que c’est en raison de l’eau salée ou parce que l’on ne voit pas de l’autre côté ?  »
Mario Bélanger
« Probablement l’eau salée et c’est si grand. On ne dirait pas une rivière. On dirait l’océan. Alors on dit la mer. »


pemijajiga’sit - se déplacer le long du rivage
pempega’s’g - commence à monter (la marée)
pempegitg - circuler 12



22
« eau » catégorie dans le Mi’gmaq Mi’kmaq Micmac Online Talking Dictionary. https://www.mikmaqonline.org/

L’apprentissage de la grammaire de l’animéité pourrait bien être un frein à notre exploitation déraisonnée du territoire.Learning the grammer of animacy could well be a restraint on our mindless exploitation of land. 14



Pourquoi pas - why not
L’écart - the gap
« La rivière Mitis compte 33 fosses réparties en deux secteurs à accès non contingenté (II & III) et 1 secteur à accès contingenté (III-B). » 13


23
Carte des zones de pêche de la ZEC où un permis est exigé.


« L’anglais ne nous fournit guère d’outils pour intégrer le respect envers l’animéité. Ce n’est pas une langue vitaliste : on est un humain ou une chose. La grammaire anglaise nous enferme dans ce choix réducteur : ce qui est non humain est une chose, cela, et ce qui est humain doit être genré, de façon également réductrice – il ou elle. Où sont nos mots pour exprimer la simple existence d’un autre être vivant ? » 14


« Nous savons que le monde est animé, mais ce langage vitaliste qui le traduit si bien est en voie d’extinction, pas seulement pour les peuples amérindiens, mais pour tous. » 14


Animéité : au-delà d’être en vie ou d’agir, il s’agit d’être rempli de pensées, de désirs, de contemplation et de volonté. C’est l’incarnation littérale de la femme autochtone, dans laquelle de nombreux récits des origines autochtones trouvent leur source. 15


24 Des enregistrements vidéo qui documentent la rivière.

Lieu-pensée : « le lieu indistinct où le lieu et la pensée n’ont jamais été séparés puisqu’ils n’ont jamais pu ou ne peuvent être séparés. Le lieu-pensée est fondé sur le principe que la terre est vivante et pensante, et que les êtres humains et non humains tirent leur pouvoir d’action de l’extension de ces pensées. » - Vanessa Watts
15

Les idées naissent des rencontres avec des moments et des lieux précis. Les lieux et les caractéristiques du paysage peuvent être utilisés comme des points de référence pour communiquer des connaissances, agir comme une archive de la mémoire sociale.

Des termes décrivant des connaissances poreuses, souvent compris comme étant statiques, intemporels et isolés :

                           Savoir local
                           Savoir traditionnel
                           Savoir écologique

Les mots utilisés lors de la négociation de revendications territoriales sont contestés de manière trompeuse, car ils ont des significations différentes pour les parties concernées – « des termes comme ‘‘territoire’’, ‘‘chasse’’, ‘‘ressources’’ et ‘‘propriété’’. Les groupes développent leur propre compréhension du ‘‘sens commun’’, toutefois ce ne sont que certains participants qui ont le pouvoir de transformer ces interprétations en accords juridiques. » 16


Il existe un « malentendu répandu voulant que, avec la signature d’ententes sur les revendications territoriales globales, les relations coloniales aient été d’une manière ou d’une autre résolues, c’est-à-dire que l’État a ‘‘donné’’ des parcelles de terre aux peuples autochtones. Ce n’est pas le cas. Les ententes sur les revendications territoriales globales dans le nord du Canada se basent sur la reconnaissance par l’État que les peuples autochtones détiennent un droit primaire et non cédé sur leur territoire, tel que reconnu par la Proclamation royale de 1763. Les relations de propriété, les institutions et les interactions qui sont officialisées dans les ententes sur les revendications territoriales ne sont pas des cadeaux offerts par un État bienveillant ; les ententes nécessitent que les signataires autochtones cèdent officiellement les droits sur leur territoire en échange de certaines compensations précises, de titres de propriété et de l’établissement de formes de gouvernance qui pourraient mieux répondre à leurs intérêts que les structures existantes. »

Emilie Cameron

25Carte de la concession seigneuriale incluant la rivière Mitis.







… « les institutions établies grâce aux ententes sur les revendications territoriales renforcent et perpétuent souvent les relations coloniales. »  17


Shoreline
« Pensez-vous pouvoir décrire en français ce que cela signifie ? »

Émile Forest

« Lorsque, je pourrais l’appeler la mer, lorsque le fleuve Saint-Laurent rencontre la terre. Il y a ce petit bout de territoire qui est tellement influencé par la mer que parfois il est la mer, parfois il est la terre. »


26
Noms mi’gmaq pour les mois de l’année, ceux-ci réfèrent à l’expérience que vivent les animaux durant cette période.
La chercheuse mi’gmaq Margaret Robinson explique la relation mi’gmaq entre les êtres humains et les animaux, incluant leurs échanges réciproques dans les rituels de chasse. Robinson décrit les points de vue mi’gmaq sur le monde comme étant intrinsèquement liés aux relations avec les animaux non humains.

« les êtres humains et les animaux vivent tous deux leur vie à la première personne, surmontent leurs peurs, ont des aventures, tombent en amours, élèvent des familles, vainquent leurs ennemis et ont une relation avec Kisu’lkm, le créateur. »

L’objectification des animaux « se reflète dans nos traités avec les gouvernements colonisateurs, et a codifié une vision instrumentale des animaux comme s’ils étaient un aspect inhérent à la culture mi’gmaq » 18




27
Collection de morts dans la mer, Institut Maurice-Lamontagne. Hannah Thiessen.





« Lorsque les frontières de la propriété territoriale sont passées des colons français aux colons anglais, la nation Mi’gmaq a préservé sa compréhension du territoire en divisant l’espace en sept districts. »

1. Kespukwitk - Fin des terres

2. Sipekni’katik - Zone des pommes de terre sauvages

3. Eskikewa’kik - Zone des peaussiers

4. Unama’kik - Terre de brouillard

5. Siknikt - Zone de drainage

6. Kespek - Dernière terre (la Miramichi, les bassins versants de la rivière Restigouche dans les péninsules du Nouveau-Brunswick et de Gaspé au Québec)

7. Epekwitk Aqq Piktuk - Zone de repos dans l’eau et zone explosive
28
Jardins de Métis entre la rivière Mitis et le fleuve Saint-Laurent.






29
Carte de la Nouvelle-France (1688). Vincenzo Coronelli.
Les cartographes des colons européens ont combiné les connaissances géographiques autochtones à leurs propres observations depuis le 16e siècle.

« les Français s’accommodent d’une profusion de noms autochtones qui n’est pas incompatible avec leurs prétentions impériales : nommer et cartographier le territoire, même dans une langue étrangère, c’est aussi se l’approprier métaphoriquement. » 20




Références pour la section Nommer :

11 « Meet the Indigenous Peoples of the Métis-Sur-Mer Area », Heritage Bas-Saint-Laurent, consulté le 15 août 2023.
https://heritagelsl.ca/meet-the-indigenous-peoples-of-the-metis-sur-mer-area/
12 « Mi’Gmaq Mi’kmaq Micmac Online Talking Dictionary », consulté le 15 août 2023. https://www.mikmaqonline.org/.

13 « Rivières Mitis et Mistigougèche », consulté le 21 août 2023.
https://www.saumonquebec.com/gaspesie/mitis-mistigougeche.

14 Robin Wall Kimmerer, Tresser les herbes sacrées : Sagesse ancestrale, science et enseignements des plantes, traduit de l’anglais par Véronique Minder, Paris, Le lotus et l’éléphant, 2021, p. 89-91.

15 Vanessa Watts, « Indigenous Place-Thought & Agency amongst Humans and Non-Humans (First Woman and Sky WomanGo on a European World Tour!) », Decolonization: Indigeneity, Education & Society, vol. 2, no 1 (2013), p : 20–34. [Traduction libre]

16 Julie Cruikshank, Do Glaciers Listen?, Local Knowledge, Colonial Encounters, and Social Imagination, UBC Press, 2005.

17 Emilie Cameron, Far off Metal River: Inuit Lands, Settler Stories, and the Making of the Contemporary Arctic. UBC Press, 2015, p : 18-19. [Traduction libre]

18 Margaret Robinson, « Animal Personhood in Mi’kmaq Perspective », (2014). [Traduction libre]

19 Treaties of peace and friendship - l’nuey, consulté le 15 août 2023. https://lnuey.ca/ wp-content/uploads/2020/09/lnuey_4291_treatyday_ResearchPaper_V01_lowres.pdf.

20 « Nommer et cartographier le territoire autochtone », BAnQ, consulté le 15 août 2023. https://www.banq.qc.ca/explorer/articles/nommer-et-cartographier-le-territoire-autochtone/

21 Centre Canadien d’Architecture, « Programme du CCA pour les étudiants à la maîtrise », CCA, consulté le 21 août 2023. https://www.cca.qc.ca/fr/41087/programme-du-cca-pour-les-etudiants-a-la-maitrise

22 La Boîte Rouge VIF, « Lexique. Guide de prononciation », Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, consulté le 15 août 2023, https://wolastoqewatu.ca/index.php?section=lexique&lang=en





Liste des images pour la section Nommer :

20. Hannah Thiessen, Là où la rivière Mitis et le fleuve Saint-Laurent se rencontrent.

21. Capture d’écran de Google Earth de la jonction de la rivière et du fleuve.

22. Catégorie « eau », Mi’Gmaq Mi’kmaq Micmac Online Talking Dictionary, consulté le 15 août 2023, https://www.mikmaqonline.org/.

23. 20. Carte des endroits de pêche, rivières Mitis et Mistigougèche, consultée le 21 août 2023. https://www.saumonquebec.com/gaspesie/mitis-mistigougeche

24. Documenter la rivière, groupe Google Drive.

25. Carte seigneuriale de la rivière Mitis et du fleuve Saint-Laurent, BANQ
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3474266

26. Noms mi’gmaq pour les mois de l’année, https://en.wikiversity.org/wiki/Mi%27kmaq_vocabulary/Calendar

27. Hannah Thiessen, Collection de la mer répertoriée de l’Institut Maurice Lamontagne (Pêches et Océans Canada).

28. Les Jardins de Métis entre la rivière Mitis et le fleuve Saint-Laurent,
https://www.lapresse.ca/gourmand/2022-08-13/jardins-de-metis/the-a-l-anglaise-avec-ricardo.php

29. Vincenzo Coronelli, Partie occidentale du Canada ou de la Nouvelle-France…, 1688. BANQ.https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2246864?docsearchtext=coronelli%20partie






Mouvement 2
Changer les mythes 


En juillet 2023, Bruno Paradis, maire de Price et préfet de la MRC de la Mitis, a annoncé son ambition de créer une « utopie » touristique centrée autour de la désactivation du barrage Mitis-1. Rêvant de bistros et de promenades offrant des points de vue directs sur la barrière de béton, le maire a dépeint le barrage hydroélectrique comme un monument important. 23 Le profond sentiment de fierté que ressent la communauté avoisinante envers celui-ci remonte à ses origines dans les années 1920. Jules A. Brilliant, le fondateur de la Compagnie de Pouvoir du Bas-Saint-Laurent, qui a construit Mitis-1 et, deux décennies plus tard, Mitis-2, représente l’émergence de la haute société francophone au début du vingtième siècle. 24 L’achat des chutes de la rivière Mitis à la riche horticultrice Elsie Reford marque également une période d’accroissement de la propriété foncière chez les francophones dans le Bas-Saint-Laurent. L’histoire orale et écrite des barrages de la Mitis est souvent racontée comme une histoire de prise de pouvoir du peuple québécois.

Lorsque les entreprises hydroélectriques ont été consolidées en Hydro-Québec durant la Révolution tranquille dans les années 1960, les barrages ont pris un rôle plus significatif dans le récit, démontrant que les Québécois sont devenus « Maîtres chez nous ». L’augmentation de la production énergétique hydroélectrique au Québec à la suite de la Deuxième Guerre mondiale coïncide avec le mouvement nationaliste qui abandonne les discours d’une identité nationale basée sur la race proposés par les penseurs nationalistes des années 1920 comme Lionel Groulx et Benjamin Sulte. Le vaste réseau de centrales d’Hydro-Québec constituait le récit idéal pour soutenir la renaissance du mythe fondateur qui décrit la nation québécoise comme un collectif issu d’une relation symbiotique avec le paysage du Québec. 25

Les barrages ont contribué à tisser l’histoire qui a uni le peuple québécois, l’appareil gouvernemental et les nombreuses rivières et chutes de la province. Grâce à ces infrastructures massives, une nation pouvait clamer à la fois la propriété et la dépendance sur le paysage de la « patrie ». Les « basses émissions » propres à cette forme d’énergie et la quantité produite comparativement aux autres provinces assuraient aussi la pérennité du sentiment d’exception québécois.

Il est évident que ces récits nationalistes entourant l’hydroélectricité, en raison de leurs fins politiques, sont difficilement réconciliables avec le fait que les vies des communautés autochtones, qui récoltaient et cueillaient autour de ces cours d’eau bien longtemps avant l’arrivée des colons européens, ont été considérablement perturbées. Les inondations et la disparition de la faune sont souvent laissées de côté dans l’histoire orale des barrages. Si ces monuments imposants représentent une affirmation québécoise sur le paysage, ce sont aussi des architectures qui portent sous silence les revendications territoriales des Autochtones. De quelle façon les récits nationalistes québécois évolueront-ils à l’avenir ? Est-ce que ces récits peuvent éviter de prétendre à une descendance collective autochtone, qui n’est pas confirmée, comme réponse à l’inconfort ? Est-il possible d’aborder le droit à l’autogouvernance du peuple québécois sans menacer la liberté d’autogouvernance des nations autochtones ?




3027
Métis-1, barrage hydroélectrique, comité du patrimoine de Price.






Mouvement 3
À propos du race-shifting (faux Autochtones)


In Dans l’Est du Québec, l’identité raciale est un mouvement qui s’accélère. Selon le recensement canadien, de 2006 à 2016, la quantité de personnes s’identifiant comme « Métis » a augmenté de 147 % dans la province. 26 Ce nombre étonnant nous amène à nous demander ce que signifie de passer d’une identité où l’on se dit issu du colonialisme à une identité autochtone. Ce changement prend sans aucun doute une signification différente selon les gens. Il y a certainement des gens qui sont, comme les appelle l’auteur mi’gmaq Daniel N. Paul, « opportunistes » et qui souhaitent profiter des droits conférés par les traités et les programmes gouvernementaux dédiés aux Premières Nations. 27
D’autres croient à tort, comme Elizabeth Warren, qu’avoir un ancêtre autochtone lointain équivaut à être Autochtone. Et d’autres encore, comme le militant Sacheen Littlefeather et plus récemment, Andrea Smith, pensent naïvement qu’en s’identifiant comme Autochtone ils pourront défendre plus efficacement les droits des peuples autochtones. 28

Contrairement aux exemples ci-dessus, de nombreux Métis autodéclarés ne réclament pas une appartenance à une nation particulière, telle que la Nation Métisse du Canada. Ils font plutôt partie de groupes politiques comme la Nation Métisse du soleil levant (NMSL) basée en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, qui lutte pour la reconnaissance et les droits de pêche de ses membres. Ces groupes, presque toujours financés par les inscriptions et les frais de membrariat annuels, se basent sur l’autodéclaration des ancêtres et ne disposent pas d’une structure de vérification des candidatures. Par conséquent, il est impossible pour ces groupes de démontrer une culture distincte en tant que peuple. 29



Avec l’augmentation de ce phénomène, parfois appelé « race-shifting » par des chercheurs comme Darryl Leroux, les questions autour des rivières de l’Est du Québec deviendront également plus complexes. 30 Au cours des dernières années, des cas comme celui d’Éric Parent, un membre de la NMSL qui a intenté une action judiciaire avec le soutien de son organisation pour faire valoir que les amendes dont il avait écopé pour avoir dépassé son quota de pêche près de la rivière Bonaventure en Gaspésie ne s’appliquaient pas à lui en raison de son identité métisse, suggère que des conversations difficiles autour de l’identité raciale doivent être rapidement abordées. 31 Cependant, l’auteur canadien Thomas King nous a mis en garde dans ses histoires sur le piège d’utiliser uniquement le « statut d’Indien » comme seule mesure de l’autochtonie. La classification qui provient de la loi sur les Indiens a souvent été utilisée pour exclure et écarter des gens qui souhaitent construire des relations avec une communauté de laquelle ils ont été retirés. 32

De quelles façons la mobilisation et l’activisme actuels provenant des groupes métis de l’Est menacent les droits conférés par les traités et les revendications territoriales des communautés Innu, Mi’gmaq et Wolastoqikyik dans l’Est du Québec ? Quelles actions doivent être mises en place afin de prévenir cela ?







STRATE DE L’INDEX COLLECTION




3128
Stéphanie Béliveau, Depuis le rivage. Stéphanie Béliveau.

Stéphanie Béliveau décrit l’épreuve physique qu’elle a dû surmonter afin de transporter des sauts d’argile molle du fleuve Saint-Laurent à la terre ferme. Elle nous délecte de récits d’échanges intimes entre elle et l’eau, incluant des proclamations de pardon à un lieu qui porte en lui ses souvenirs les plus douloureux. Un coffret fermé semble être rempli d’une authentique collection marine, d’un monticule d’éponges de mer et de coraux. Examinée de plus près, la collection se révèle être un assemblage de mousses, de plastiques et de matériaux synthétiques décontextualisés qui se sont trouvés par l’intermédiaire de l’embouchure du fleuve.



 La rivière est une collectionneuse active, son embouchure retient notre passé, conserve nos décisions jusqu’à ce que nous les comprenions.

En 2014, des chercheurs de McGill ont prélevé et trié des concentrations élevées de microplastiques de polyéthylènes dans le fleuve Saint-Laurent.

Les quantités sont semblables aux sédiments océaniques les plus contaminés au monde.

« On supposait jusque-là que les voies fluviales transportaient les microplastiques flottants vers la mer. Nous avons maintenant la preuve que les fleuves deviennent des puits de ce type de polluants. »33



























32
Billes de microplastique trouvées dans le Saint-Laurent.




La surface de ces billes attire les polluants chimiques, comme les BPC, les composés cancérogènes utilisés dans des produits industriels et de consommation jusqu’en 1977, lorsque leur production a été bannie au Canada. Les BPC participent toujours à la contamination environnementale puisque de petits organismes absorbent des BPC à travers une exposition à leur habitat. Les organismes contaminés sont consommés et les BPC sont transférés dans la chaîne alimentaire. 34


33
Collection trouvée sur le rivage du Saint-Laurent. Hannah Thiessen.

31

34

La rivière est une collection,
définir ce que nous considérons comme important.


Un appareil photo Reconyx prend des photographies obliques du Parc régional de la Rivière Mitis toutes les quinze minutes. Ces images révèlent une forte présence humaine sur le littoral, notamment visible par l’utilisation de sentiers improvisés, d’une végétation piétinée, d’une collection de bois et d’un voyage à moto. 35


35 Embouchure de la rivière Mitis durant différentes tempêtes (19), à partir de l’appareil Reconyx (exemple, gauche, 21)















L’embouchure de la rivière possède un sol particulièrement fertile, encourageant l’activité agricole à l’ouest de celle-ci. 35



36
Séquences tirées de notre film d’horreur inédit Mitis sur Mer, présentant la collection du littoral de Rose Côté.


Les échantillons d’eau suggèrent que les pratiques agricoles actuelles dans cette zone présentent un risque pour la qualité de l’eau. Les niveaux de nitrite, de nitrate et de phosphore se sont révélés être anormalement élevés lors de l’échantillonnage – menaçant la santé de la vie aquatique en permettant une croissance élevée d’algues. 35

Les zones agricoles près de la rivière comptent peu d’arbres, ils ont probablement été abattus en faveur de coupes annuelles ou en raison d’un surpâturage. 36

Les installations des barrages Mitis-1 et Mitis-2, et la station de capture du saumon sont considérées comme des écotones riverains de qualité inférieure (des zones avec des arbres, des arbustes, des plantes qui limitent l’excès de sédiments dans l’eau). 35









37
La rivière est une collaboratrice,
basée sur la collecte…



Les phoques, les oiseaux marins et les bars rayés agressifs se rejoignent tous aux embouchures des rivières, misant sur la migration du saumon.

La caligidae se déplace dans les cages, s’attaque aux saumons piégés.  37














Les structures des barrages et les programmes de gestion de l’eau peuvent avoir des impacts importants sur le saumon et son habitat, perturbant certains facteurs tels que le débit et la température. Le risque de prédateurs augmente lorsque le saumon doit attendre dans des zones estuaires avant de remonter ou descendre le courant. 37

Le fait d’encadrer la recherche selon la perspective du paysage peut décrire le rôle du lieu au-delà des associations humaines, mais cela peut aussi dissimuler des indications humaines suggérant que les états de dégradation/contamination sont naturels ou essentiels.






Référence pour la section Collection :

33 « Polluants microplastiques dans fleuve Saint-Laurent », 23 septembre 2014 https://www.mcgill.ca/newsroom/fr/channels/news/polluants-microplastiques-dans-fleuve-saint-laurent-239101.

34 « Polychlorinated Biphenyls (PCBs) », Indiana Department Of Environmental Management, juin 2013, http://www.in.gov /idem/files factsheet_pcbs.pdf

35 Félix Lafond, Samuel Veilleux et Jonathan Pothier, Caractérisation biophysique de la rivière et de la baie de Mitis, comité ZIP du Sud-de-l’Estuaire, Rimouski, Québec, 2022..

36 Gouvernement du Canada, « La gestion des zones riveraines », 29 juillet 2020, https://agriculture.canada.ca/fr/production-agricole/sols-terres/gestion-zones-riveraines.

37 « A Special Report on Wild Atlantic Salmon in Eastern Canada, prepared by Minister’s
Advisory Committee on Atlantic Salmon », https://publications.gc.ca/collections/collection_2015/mpo-dfo/Fs23-605-2015-eng.pdf


Liste des images pour la section Collection :

31. Stéphanie Béliveau, Depuis le rivage, juin 2022.

32. Billes de microplastique trouvées dans le Saint-Laurent, https://www.mcgill.ca/newsroom/channels/news/microplastic-pollution-discovered-st-lawrence-river-239101

33. Hannah Thiessen, Collection trouvée sur le rivage du Saint-Laurent

34. Exemple d’appareil photo Reconyx, https://kbmoutdoors.ca/collections/reconyx-cameras-more

35. Aperçu de l’embouchure de la rivière Mitis lors de différentes tempêtes, https://coherent-commons.s3.amazonaws.com

36. Hannah Thiessen, Images tirées de notre film d’horreur Mitis sur Mer, présentant la collection du littoral de Rose Côté.

37. Hannah Thiessen, Transport des saumons.


Mouvement 13
Voyage interrompu

À huit heures, un matin de la fin juin, nous avons assisté au premier transport de saumons de la journée à l’embouchure de la rivière Mitis. Au cours de leur long périple à l’intérieur des terres pour pondre leurs oeufs, une douzaine de saumons de l’Atlantique arrivent dans leur salle d’attente mécanique. Si on les laissait poursuivre leur ascension, ils seraient rapidement confrontés à la réalité que le chemin de leur destination, précisément cartographié dans leur corps, a depuis longtemps été interrompu par un obstacle insurmontable. Le barrage hydroélectrique de la Mitis-2 construit en 1947 par la Compagnie de Pouvoir du Bas-Saint-Laurent détenue par le héros local Jules A. Brilliant est plus haut que ne peut sauter un poisson. 24 La cage est fermée. Plus ils sont nombreux, plus ils sont susceptibles de se blesser les uns les autres en raison de leur état de confusion. La cage à moitié submergée attachée par quatre chaînes à une grue jaune vif est soulevée au-dessus de la citerne de métal brillant située à l’arrière du camion. La cuve est ouverte sur le dessus ce qui permet de vider les poissons dans le réservoir. La sombre traversée débute.

Les saumons se nourrissent durant des années dans l’océan afin de rassembler l’énergie nécessaire à l’épuisante aventure du frai. Pour plusieurs, ce sera le dernier voyage de leur vie. Pour les saumons de la rivière Mitis, le récit de l’expédition est toutefois marqué par un flou de 15 kilomètres. Leurs solides corps rouges sont suspendus dans les airs et secoués dans une balade turbulente qui se déroule dans l’obscurité entière. Les saumons flottent par-dessus les deux immenses structures de béton qui perturbent leur rituel annuel, pour ne jamais les revoir. Lorsque, enfin, ils aperçoivent à nouveau la lumière, c’est à travers un tube qui les libère dans la rivière où ils peuvent poursuivre leur périple.
Cette opération est le résultat de la parfaite organisation de la zone d’exploitation contrôlée (ZEC) Mitis, qui fait partie d’un réseau d’organismes pour la gestion de la faune fondé par le gouvernement du Québec. En 1978, ces zones ont remplacé l’ancien système de baux, lequel voyait la gestion de la faune comme la responsabilité des nombreux clubs de chasse et de pêche qui louaient les rivières et les lacs de la province. La stratégie de conservation des clubs était souvent basée sur le fait de rendre disponible la chasse et la pêche uniquement à une élite secrète et à ses distingués invités. Dans leur tentative de rendre la pêche plus accessible, les ZECs tiennent le compte des poissons, accordent un nombre limité de permis et parfois accompagnent un groupe de poissons qui ne peut plus terminer seul sa trajectoire. La rivière invite le saumon de l’Atlantique à revenir à son lieu de naissance chaque année, mais notre relation extractiviste avec l’eau rompt le lien entre l’endroit et leurs souvenirs. Chaque voyage de transport des saumons est une remarque coupable de plus adressée à notre invitation à l’extinction.3839


38
Atlantic salmon in the
salmon transport tank.
Hannah Thiessen.




STRATE DE L ’ INDEX RÉCOLTE 

À partir de l’embouchure de la rivière Mitis, nous avons conduit vers l’intérieur des terres, dans l’air lourd teinté de rouge par les feux de forêt en cours, nous avons suivi le même chemin que la migration annuelle du saumon. Ce matin-là, à la suite d’une longue chaîne d’appels, de renvois vers des spécialistes et de transferts de courriels, on nous a enfin accordé la permission de retracer l’eau jusqu’à ses origines. De la source de la rivière, nous en connaissions peu – que des murmures égarés et des fragments du passé. Une action judiciaire impliquant une entreprise de pâtes et papiers et une carte dessinée au dix-septième siècle. Les histoires de vacances d’une cartographe de Rimouski. Des pages provenant d’un journal de bord de pêche prétentieux. Les esquisses rapides d’un arpenteur-géomètre sentimental. Lorsque nous sommes arrivées à ce que l’on pourrait appeler le début de la rivière – un ruisseau étroit qui coule à travers un barrage en ruines –, nous nous sommes retrouvées au milieu d’un paysage vertigineux d’extraction des ressources. Un panorama loin d’être pittoresque.



39Le barrage au lac Métis. Hannah Thiessen.




Nous avons marché vers le lac en forme de virgule qui donne naissance à la rivière du même nom. Le sentier sous nos pieds marquait l’orée d’une forêt fraîchement coupée couverte de grandes pyramides de troncs de sapins. Les montagnes de rondins observaient nos mouvements comme les centaines d’yeux du géant Argus. Où ira tout ce bois ? À la construction d’un autre édifice de bois massif décoré de prix, peut-être. L’exploitation forestière rapide du Bas-Saint-Laurent a transformé l’identité de ces forêts. Des conifères centenaires ont donné place à de jeunes arbres à feuilles caduques. Se nourrissant de leurs branches feuillues immatures, riches en nutriments, la population d’orignaux a atteint des sommets sans précédent. À mesure que le nombre de tête augmente, la probabilité de morts massives causées par la famine et les maladies augmente également. Craignant que le pâturage puisse empêcher les forêts coupées de pouvoir se restaurer, chaque été, le propriétaire de la seigneurie accueille ici des groupes de chasseurs en leur demandant de remplacer les meutes de loups, les prédateurs naturels de ces bois qui ont depuis longtemps disparu. La récolte appelle à davantage de récolte. 40





40
Montagnes de rondins à la seigneurie du lac Métis. Hannah Thiessen.



En atteignant le lac Métis, nous avons été accueillies par un panneau d’avertissement rouge électrique marqué d’un cercle blanc traversé d’un éclair, le symbole iconique d’Hydro-Québec. Derrière l’affiche, l’arrière chétif du barrage était exposé, ses barres d’armature tordues sortaient de ses plaies ouvertes. Deux travailleurs marchaient autour de la structure à l’agonie afin d’évaluer son avenir incertain. À cette période, ce qui adviendrait de l’infrastructure hydroélectrique de la rivière Mitis était toujours un secret bien gardé. D’abord érigé pour faciliter le mouvement des rondins en aval, le barrage de la Mitis a connu plusieurs utilités. Construit et reconstruit. Toujours pour la récolte. Possiblement en attente d’être reconstruit une fois de plus.



41
Arrière du barrage à l’agonie au lac Métis. Hannah Thiessen.





42Carte de la seigneurie du lac Métis. Hannah Thiessen.



 À la fin, nous nous sommes rendus jusqu’au réseau de sentiers menant aux nombreux chalets de pêche. Nous pouvions entendre derrière nous le grondement d’un camion chargé de bois massif s’estompant à mesure qu’il s’éloignait tout en soulevant un dense nuage de poussière. Devant nous il y avait une carte de la seigneurie sur une structure de bois couverte d’un chapeau de bardeaux. L’une des nombreuses cartes qui jalonnent les chemins dont l’encre commence à s’effacer du bas vers le haut. Tels des fantômes, les trois lacs originaux qui forment le lac Mitis existent sur la carte sous la forme de petits noms imprimés entre parenthèses. Les chemins sinueux de la forêt, dessinés comme un réseau de fibres nerveuses, étaient impossibles à comprendre. Combien de chemins existent toujours, tels qu’illustrés par les lignes pointillées évasives ?

Désorientées, nous avons marché en suivant les courbes de l’eau.


Mario Bélanger

Mon grand-père utilisait la rivière pour transporter du bois massif, mon père l’utilisait pour produire de l’électricité. J’imagine que, pour ces raisons, je ressens un lien à la rivière.



43


L’institut Maurice-Lamontagne est un institut de recherche de Pêches et Océans Canada qui conduit des recherches reliées à la gestion des écosystèmes aquatiques du fleuve Saint-Laurent et de ses estuaires, le Fjord du Saguenay et la baie d’Hudson.



44 L’espace laboratoire à l’Institut Maurice-Lamontagne. Des bassins d’eau peuvent être loués aux chercheurs dans le cadre de leurs études sur diverses espèces aquatiques.


425
L’un des bassins est utilisé pour l’étude du sébaste du Saint-Laurent. Cette espèce, qui avait diminué suite à la surpêche, a connu un rebond de sa population et une augmentation de sa masse corporelle. Bien que l’Institut souhaite permettre à nouveau la pêche du sébaste, il reconnaît que le changement de politique prendra du temps. Les résultats du retour de ce poisson dans le régime alimentaire des Canadiens ne sont pas plus clairs.
.



La zone d’exploitation contrôlée (ZEC) Mitis gère le transport des saumons de l’embouchure de la rivière Mitis jusqu’à Sainte-Angèle-de-Merici. Durant chaque trajet, le nombre de saumons est précisément compté. La ZEC croit que le transport des saumons aide à la croissance d’une population menacée.


4643 Lorsque plus ou moins une douzaine de poissons entre dans la cage, elle est soulevée pour permettre le transfert des saumons dans le camion.


447
La grue place la cage au-dessus du camion de transport où les poissons sont déversés dans la citerne d’acier.


Références pour la section Récolte :

43 Jia Mi et Marie-Ellen Houde-Hostland, enregistrement, 22 juin 2023.
44 Jardins de Métis, « Histoires de pêche », histoires de chez nous, 2016.



Liste des images pour la section Récolte :

39. Thiessen Hannah, Barrage au Lac Métis, 22 juin 2023.

40. Thiessen Hannah, Montagnes de rondins à la Seigneurie du Lac Métis, 22 juin 2023.

41. Thiessen Hannah, Arrière du barrage au Lac Métis, 22 juin 2023.

42. Thiessen Hannah, Carte de la Seigneurie du Lac Métis, 22 juin 2023.

43. Thiessen Hannah, Écureuil sur le sentier de Mario Bélanger, 12 juin 2023.

44. Thiessen Hannah, Cuves de recherche à l’Institut Maurice-Lamontagne, 19 juin 2023.

45. Thiessen Hannah, Sébastes à l’Institut Maurice-Lamontagne, 19 juin 2023.

46. Thiessen Hannah, Cage pour le transport des saumons, 21 juin 2023.

47. Thiessen Hannah, Camion pour le transport des saumons, 21 juin 2023.





Mouvement 5
Pêche et dépossession

Plusieurs témoignages historiques tentent d’expliquer la dépossession des Mi’gmaq et des Wolastoqiyik de leur territoire traditionnel dans la péninsule gaspésienne. L’établissement de camps de pêche et des modifications apportées aux lois sur la pêche ont joué des rôles importants dans la migration forcée de leurs communautés du Bas-Saint-Laurent. Les citations suivantes nous donnent des fragments d’explications.

Plusieurs lacunes dans les connaissances perdurent.




Tirée de Nta’tugwaganminen: Evolution of the Gespe’gewa’gi Mi’gmaq, a history of the Mi’gmaq nation in the Gaspé Peninsula :

« Avant 1763, les Mi’gmaq étaient les seuls habitants permanents de Gespe’gewa’gi. Les pêcheurs européens, seulement quelques centaines, venaient uniquement durant la saison de la pêche à la morue et campaient à divers postes de pêche. À la suite de l’arrivée des Britanniques, la croissance des colonies européennes était alarmante. Les réfugiés acadiens ont été les premiers à arriver en 1755. Trente ans plus tard, d’autres réfugiés, des loyalistes cette fois, ont déménagé dans la région. » 6


« La quantité [de poissons], jadis abondante, essentielle à notre subsistance, a été menacée par les techniques de pêche agressives des marchands britanniques. » 6



Tirée de Wildlife, conservation and conflict in Quebec, 1840-1914, de Darcy Ingram.

En 1857, le Montreal Fish and Game Protection Club a écrit le message suivant au gouvernement colonial.

« Nous pensons que leur privilège, qui leur permet une latitude de laquelle ils ont prouvé qu’ils étaient indignes, devrait être aboli et qu’ils devraient être rabaissés au niveau des autres citoyens. En fait, la tendresse manifestée à leur égard et les droits exclusifs qu’on leur a accordés motivent les Indiens à continuer à adopter un mode de vie oisif, inutile et barbare. »  41


Tirée de la loi sur les pêches du Bas-Canada de 1858: 

« […] est interdite la pêche, la prise ou la mort de tout saumon ou truite de mer à l’aide d’une torche ou de toute autre lumière artificielle et au moyen d’une lance, d’un harpon (n’egog), d’un hameçon ou d’un grappin. » 41


Tirée de Autochtones de l’Est du Québec de Serge Goudreau.

« Les derniers Micmacs du Bas-Saint-Laurent se sont vraisemblablement intégrés à la bande Malécite de l’Île Verte (Famille René) ou sont retournés vivre en Gaspésie. 42


Selon Goudreau, entre 1870 et 1900, les mariages exogames impliquant le peuple Wolastoqiyik ont commencé à augmenter. Dans les registres de 36 mariages impliquant des Wolastoqiyik datés de cette période, 24 sont exogames. Approximativement 50 % des mariages Wolastoqiyik dans le Bas-Saint-Laurent étaient exogames. 42






STRATE DE L’INDEX ARCHIVE 


De quelle façon la rivière Mitis invite-t-elle au souvenir ?


48 
Marchant vers le littoral exposé. Hannah Thiessen.
Les eaux qui s’intensifient s’infiltrent à l’intérieur des terres, et en même temps que les précipitations augmentent, s’attaquent aux strates du sol qui constituent le littoral.

Les sols s’érodent et les sols plus anciens sont mis à nu.

Sols, roches, argile tenant des objets, artéfacts, récits et souvenirs ; l’essence de l’histoire.

Ce littoral érodé fait de l’histoire un sujet actuel : une archive qui s’expose elle-même.

À leur manière, la rivière et le fleuve en fluctuation appellent à se souvenir.


Tessons de verre provenant d’un pique-nique ce jour-là.

Herbes.

Couche arable, racines.

Les vestiges des pierres des fondations d’un édifice rappellent une rivière Mitis qui était autrefois utilisée pour la scierie Price Brothers.

Sol.

Matière organique, coquilles de moules et arêtes de poisson, décomposées.

Le temps, c’est aussi de l’histoire, mais elle n’est pas perceptible à tous les yeux et à toutes les mémoires.

Une pointe de flèche apportée ici par les voyageurs Mi’gmaq de la fin du Sylvicole moyen (1500 à 1000 avant JC), faite de pierre transportée jusqu’ici à partir de ce que l’on appelle aujourd’hui le Labrador.

Argile

et roche





49
Identifier les objets archéologiques intéressants. Hannah Thiessen.


50Les objets intéressants sont notés, mesurés et captés dans leur contexte. Nicolas Beaudry.



Marie-Ellen : « Jia, qu’a-t-on appris aujourd’hui ? »


Jia : « Aujourd’hui, nous avons appris que nous ne devrions pas toucher les objets archéologiques à mains nues. » 43

51Des pointes de flèche et des outils de coupe appartenant aux peuples autochtones qui ont visité l’embouchure de la rivière Mitis aussi tôt que durant la période sylvicole moyenne. Recueillis et conservés au sol autour de la rivière, ils sont devenus des artéfacts durant une fouille archéologique menée par les Amis des Jardins de Métis de 2012 à 2014. Ils sont depuis conservés dans leurs archives.
Ces artéfacts rappellent que les peuples Wolastoqiyik et Mi’gmaq séjournaient sur les berges de la rivière Mitis pour faire des outils, échanger et chasser. Les pierres durables conservent cette histoire dans les archives coloniales, mais retirées de leur contexte, elles ne captent pas les récits, les mots et les enseignements qui circulaient avec ces outils. 44




52
L’archivage aux Jardins de Métis, comme plusieurs archives, implique un système de codification du matériel archéologique. Marie-Ellen Houde-Hostland.



53
Les archives conservées au Centre Canadien d’Architecture sont entreposées dans un environnement contrôlé, dissimulé et sécurisé. Gabor Szilasi.





Nous avons visité les archives des Jardins de Métis : une pièce fermée contenant des étagères présentant des objets, des livres, des peintures, des cartes provenant de la maison Reford et des pièces qui ont été trouvées à l’embouchure de la rivière Mitis.





CCA


54Le journal de pêche d’Elsie Redford, conservé dans les archives des Jardins de Métis, constitue un registre de l’état du saumon et de la rivière Mitis du point de vue d’hommes et de femmes issus d’une élite coloniale qui pratiquait la pêche sportive.






Ange Loft, une artiste de performance interdisciplinaire de Kahnawà:ke, dans un extrait présenté dans Water, Kinship, Belief: Toronto Biennal of Art 2019-2022 :

« Une archive est définie comme une ‘‘collection de documents historiques’’… Mais ce type d’archives est incomplet et biaisé en faveur du pouvoir. Où se trouvent alors les brèches ? … Et si nous traitions les brèches présentes dans les archives comme des ouvertures pour s’échapper ? » 46






La rivière Mitis et le fleuve Saint-Laurent se faufilent à travers les brèches des structures juridiques québécoises. Intensifiant les marées qui érodent les côtes, ils contestent l’archive coloniale, en servant d’invitation à se souvenir avec et à travers eux.


La rivière, et les paysages de façon générale, « sont des lieux de remémoration… [lesquels] peuvent produire un type d’archives où les souvenirs peuvent être mentalement enregistrés. » 16


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Les archives des Jardins de Métis. Marie-Ellen Houde-Hostland.

54 7La rivière Mitis à marée basse. Hannah Thiessen. 


Ange Loft continues...

« Les archives peuvent exister sous d’autres formes, en d’autres choses vivantes, elles peuvent être incomplètes, indéterminées et toujours changeantes. Les arbres, les roches, la glace, les rivières, les lacs, et beaucoup d’autres choses constituent un type d’archives singulier. La terre se souvient ; l’eau se souvient ; toutes les choses vivantes sont des traces des mondes qu’elles ont aidé à créer et à rencontrer. » 46




Alors que le concept d’Anthropocène définit une époque spécifique dans laquelle les activités, principalement coloniales, de l’être humain ont altéré géologiquement la terre et les paysages, Zoe Todd et Heather Davis dans leur essai On the importance of a Date, or, Decolonizing the Anthropocene nous rappellent que pour de nombreux peuples autochtones, les eaux, les sols, les êtres humains et les communautés non humaines ont toujours été entrelacés :

« Le colonialisme de peuplement, et ses extensions en pétrocapitalisme contemporain, sectionnent les relations. C’est une rupture des relations entre les êtres humains et le sol, entre les plantes et les animaux, entre les minéraux et les os. C’est la logique de l’Anthropocène. »47


558 Le littoral qui s’érode le long du fleuve Saint-Laurent est une trace de ses écologies changeantes. Hannah Thiessen.

L’Anthropocène ne représente pas seulement un changement dans la constitution géologique des sols terrestres, mais marque également une rupture dans les eaux, les corps et les esprits qui longtemps se façonnaient les uns les autres.

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Alma Brooks :

« La rivière possède une mémoire, l’eau dans la rivière possède une mémoire et elle se rappelle son nom d’origine, le nom qu’elle porte depuis des milliers et des milliers et des milliers d’années. » 48



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Une passe à poissons pour soutenir le lien avec l’habitat de l’anguille d’Amérique actuellement en place dans un étang des Jardins de Métis. Hannah Thiessen.








L’Atlas des sites et usages Mi’gmaqs et Malécites du Saint-Laurent marin est composé d’un registre et d’une carte géoréférencée des connaissances et des activités traditionnelles et contemporaines mi’gmaq et wolastoqey autour des environnements marins, incluant la rivière Mitis. Fait précisément pour les communautés Mi’gmaq et Wolastoqey, Gesgapegiag, Gespeg et Wahsipekuk, cet atlas conserve les traces des lieux et des activités importants afin que les membres puissent continuer à prendre part à ces pratiques.
Pendant que la rivière réagit aux changements climatiques à grande échelle, qu’arrive-t-il des souvenirs qu’elle conserve ?

Alors que Kataq (Mi’kmaq) ou Sakapsqehtom (Wolastoquey) ou l’anguille d’Amérique (français), American Eel (Anglais) fait face à des obstacles dans sa migration vers ses sites de reproduction le long de la rivière Mitis, ces passes à poissons installées par l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey (AGHAMM) aident à garantir que les anguilles reviennent. 49


Nta’tugwaqanminen: Evolution of the Gespe’gewa’gi Mi’gmaq:

“la façon mi’gmaq de penser… voit la création comme un processus éternel dans lequel tout se transforme constamment et où le seul pouvoir que l’être humain possède est celui d’apprendre et de se transformer en même temps que le monde en constante transformation. »
6
















615
Page d’accueil de l’atlas de 
Wolastoqiyik Lintuwakonawa est un album de Jeremy Dutcher, un musicien wolastoqey originaire de la Première Nation de Tobique (Neqotkuk) au Nouveau-Brunswick. Cette oeuvre est inspirée de la découverte par Jeremy d’enregistrements archivés de chants wolastoqey datant de 110 ans conservés au Musée canadien de l’histoire, auxquels il a répondu et qu’il a intégré à ses propres compositions. La chanson Eqpahak débute par une conversation avec l’aînée wolastoquey et passamaquoddy, gardienne du savoir et porteuse de chants, Maggie Paul, retranscrite ici :
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Pochette de l’album Wolastoqiyik Lintuwakonawa de Jeremy Dutcher.


  « J’y pense parfois, j’aimerais ramener tous les chants que les gens chantaient ici. J’aimerais les entendre et les chanter. Les gens chanteront, vous savez, ce ne sera pas que moi, il y a plusieurs personnes qui ramènent ces chants. Et lorsque l’on ramène ces chants, on ramène aussi les danses, on ramène les gens, on ramène tout. » 50

Portail linguistique Passamaquoddy-Malécite:

Eqpahak :

nom locatif (verbe ii participe 23)
à la tête de la marée sur la rivière ou le bras de mer ; (cap., Ma) dans l’ancien village, juste à contre-courant de Fredericton au Nouveau-Brunswick.
Notes : (littéralement : là où la marée cesse de monter) » 51




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La rivière mitis quand les vagues se retirent. Hannah Thiessen.





Marie-Ellen, Jia, Hannah:

« Nous avons écouté cet album en faisant nos recherches, et avons passé un certain temps à essayer de comprendre pourquoi il nous faisait tant penser au travail effectué par la rivière. Nous ressentions quelque chose d’important, mais nous avons pu commencer à le comprendre seulement lorsque nous avons rassemblé ces enseignements. Retracer la signification du titre de cette pièce ne consiste pas à associer le nom de ce lieu aux marées le long de la rivière Mitis, mais à capter la façon dont nous, en tant que chercheurs, personnes qui regardent, qui réfléchissent et qui apprennent, comprenons grâce aux relations entre les différentes voix. En plaçant ces voix les unes à côté des autres, nous commençons à comprendre intuitivement quelque chose de beaucoup plus grand ;

Il se passe quelque chose dans le rassemblement.

Il semble y avoir un point commun entre la chanson de Dutcher, le mot Eqpahak tel que nous le comprenons, et les marées de la rivière Mitis, qui rassemblent, recueillent, conservent et se souviennent des récits appartenant aux gens qui la visitent et l’écoutent. En prenant part à ce rassemblement de voix, de mots, d’images, d’enseignements, de récits, d’activités menées par des gens entre, le long et au-delà de la rivière, une version de la rivière commence à se former, et poursuit son appel à se souvenir et à se rassembler.

Se souvenir, écouter, c’est aussi une invitation à suivre. »













Références pour la section Archive :

43 Jia Mi Chen et Marie-Ellen Houde-Hostland, enregistrement, 22 juin 2023. Reford

44 Jardins de Métis, « Histoires de pêche », Histoires de chez nous, 2016. https://www.histoiresdecheznous.ca/v2/histoire-de-peche_fish-stories/

45 Centre Canadien d’Architecture, « Collection », Centre Canadien d’Architecture, consulté le 21 août 2023, https://www.cca.qc.ca/fr/apropos-collection

46 Ange Loft, « Indigenous Context and Concepts for Toronto (extraits): The Dish with One Spoon », essai dans Water, Kinship, Belief: Toronto Biennial of Art 2019-2022, édité par Candice Hopkins, Katie Lawson et Tairone Bastien, Toronto Biennial of Art and Art Metropole, 2022. [Traduction libre]

16 Julie Cruikshank, « Do Glaciers Listen? : Local Knowledge, Colonial Encounters and Social Imagination », Vancouver, UBC Press, 2005.

47 Zoe Todd et Heather Davis, « On the Importance of a Date, or, Decolonizing the Anthropocene », ACME: An International Journal for Critical Geographies, vol. 16, no 4 (20 décembre 2017). [Traduction libre]

48 Hadeel Ibrahim, « Wolastoqyik People Hold River ‘reclaiming’ Ceremony », CBC News, 24 juin 2018. https://www.cbc.ca/news/canada/new-brunswick/wolastoqyik-river-wolastoq-st-john-renaming-1.4719808.

49 Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Malécite « Projet en cours. Gestion, conservation et diversification », Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Malécite, 2018, https://aghamw.ca/projets-en-cours/

6 Gespe’gewa’gi Mi’gmawei Mawiomi, « Nta’tugwaqanminen Our Story: Evolution of the
Gespe’gewa’gi Mi’gmaq », Halifax, Nouvelle-Écosse, Fernwood Publishing, 2016.

50 Jeremy Dutcher, « Eqpahak », Wolastoqiyik Lintuwakonawa, 2017. [Traduction libre]

51 Language Keepers, « Eqpahak », Passamaquoddy-Maliseet Language Portal, 2006. https://pmportal.org/dictionary/eqpahak. [Traduction libre]


Liste des images pour la section Archive :

48. Hannah Thiessen, Isadora qui marche le long du littoral d’artefacts, 24 juin 2023.

49. Hannah Thiessen, Indiquer les objets archéologiques intéressants, 24 juin 2023.

50. Nicolas Beaudry, Surveillance, voir point GPS DdEa-2-S001, embouchure de la rivière Mitis, 30 juillet 2021.

51. Ministère de la Culture et des Communications du Québec, outils de coupe.

52. Marie-Ellen Houde-Hostland, Archives des Jardins de Métis, 20 juin 2023.

53. Gabor Szilasi, Vue intérieure de la voûte d’entreposage des archives au niveau 2, Centre Canadien d’Architecture, Montréal, Québec. PH1989:0092, Centre Canadien d’architecture, Montréal, Québec, décembre 1988.

54. Hannah Thiessen, Journal de pêche d’Elsie Reford, 24 juin 2023.

55. Publications Québec. P-9.002, r. 2.1 – Règlement sur la recherche archéologique. Mars 2023.

56. Marie-Ellen Houde-Hostland, Les archives des Jardins de Métis, 4 juin 2023.

57. Hannah Thiessen, La rivière Mitis à marée basse, 5 juin 2023.

58. Hannah Thiessen, Le rivage érodé le long du fleuve Saint-Laurent est une trace de ces écologies en changement.

59. Hannah Thiessen, Passe pour l’anguille d’Amérique aux Jardins de Métis, 22 juin 2023.

60. Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey, Atlas des sites et usage Mi’gmaqs et Malécites du Saint-Laurent marin, capture d’écran, consulté le 18 août 2023.

61. Matt Barnes, Pochette de Wolastoqiyik Lintuwakonawa, 2018.

62. Hannah Thiessen. La rivière mitis quand les vagues se retirent. June 24, 2023.




contexte




LA RIVIÈRE MITIS INVITE








Comment la rivière Mitis invite-t-elle ?






ÉVÉNEMENT PRÉCÉDENT - 29 JUIN 2023 - JARDINS DE METIS










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